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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
4 mars 2009

Ecce homo

bl002

- Donc, si Monsieur DALMAZZO a repris ses esprits, nous allons procéder à l'extraction.

Il est vrai que, malgré la température glaciale du bloc, j’avais eu du mal à garder mon sang froid. Plusieurs fois mon pied avait tremblé sur le carrelage en faisant un bruit difficile à cacher. Un peu le tic-tic de mes dents.

- Bon, suivez-moi bien. Il faut savoir qu'une cervelle, ça ne vient pas à la première sollicitation. Ce n'est pas une orange mûre qu'on cueille au haut d'une branche. Ce fruit-là a ses attaches. Il est bien accroché au support. Si vous plongez la main pour le sortir, bêtement, sans précaution, comme si vous ramassiez une laitue dans votre potager, vous feriez des saletés. Pour que la plante vienne dans toute sa beauté, il faut procéder méthodiquement et s'occuper d’abord des racines…

Ses yeux brillaient autant que son scalpel. Pour faire bonne contenance, je hochais la tête. Péniblement.
Il aimait le suspens.
Il attendit un instant et reprit :

- Vous savez naturellement qu’il y a douze paires de nerfs crâniens. Je ne reviendrai pas là-dessus. Côté nerfs optiques, nous avons fait le travail tout à l’heure…

Ce travail-là m’avait valu mon premier étourdissement.

- … On peut s’occuper aussi des nerfs vestibulo-cochléaires, ceux-là mêmes qu’on appelait autrefois les nerfs auditifs. Ici et là… Pour les autres, tout couper maintenant n’est pas vraiment nécessaire. On peut à la rigueur mettre quelques coups de scalpels… aux bons endroits bien sûr, comme ici …et là …c’est plus propre… Voilà.

Voilà.

-… et bien sûr, princeps in fine, le bulbe rachidien… Ah, là, il faut connaître!

Il sortit de je-ne-sais-où un bel objet brillant, une sorte de hachoir à saucisse au design danois.

- On enfonce sec, ici, au ras de la troisième vertèbre… comme ça… et on peaufine par quelques petites incisions latérales. Comme ça et… comme ça… DALMAZZO vous me suivez toujours ?

Il m’avait suffit d’un petit fléchissement d’épaules pour me faire repérer !
Tant bien que mal, je parvins à me redresser mais c’est un gloussement et un chuchotement ironique de trop qui, portant un coup salutaire à mon amour-propre, me sortirent d’affaire.
Je crispai mes orteils dans mes chaussures et, dans le même effort, réussis à faire un nœud marin avec mes doigts. Puis, tout en mordant fermement l’intérieur de mes lèvres, j’affrontai un à un les regards qui m’entouraient.
Le silence respectueux qui se fit subitement me prouva que j’irradiais d’une aura surnaturelle.

- Bon, continuons ! On introduit alors une sorte de pelle à tarte… comme celle-ci.

Nouveau coup de prestidigitateur.

- On enfonce ici. On tourne comme ça... doucement... dans un sens … dans l’autre. On pince….et on enlève le tout… et voilà… Ouvrez les mains, DALMAZZO!

Je sursautai à nouveau. Qu'avait-il dit? J'avais entendu ZO.

- Allez DALMAZZO, … DALMAZZO Michel!

Aucun doute, c’était moi. Encore moi ! Mais qu’est-ce que j’avais fait à Hippocrate ?
Mon cœur battait à tout rompre, mais je tenais bon.
Plus de ricanements discrets, comme tout à l’heure, mais des soupirs jaloux. Le genre d’ambiance qui, à la piscine, vous pousse à faire chiche du haut du grand plongeoir.
Je bombai le torse et tendis mes deux mains ouvertes, fièrement, consciencieusement, comme si, de moi seul, allait dépendre la vie de ce nouveau-né.

Je fus surpris par sa légèreté, sa mollesse, sa fermeté.
Un peu le sentiment que vous auriez en tenant dans vos mains une génoise aux pommes.
J'étais submergé de peur…redoutant par-dessus tout que le bébé se mette à pleurer.

- Ecce homo, dit fièrement le professeur en pointant son bistouri sur la créature qu’il venait de mettre au monde.

Le lendemain, j’abandonnais la médecine.

 

 

 

 

© M.DALMAZZO

 

 

 

 

 


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Commentaires
M
Dans son ouvrage "Eloge de la fuite", le biologiste Henri Laborit rapporte que, confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix :<br /> - combattre : c'est l'attitude la plus naturelle. Le corps ne subit pas de dommages psychosomatiques. Le coup reçu est transformé en coup rendu. Mais par cette attitude, on entre dans une spirale d'agressions à répétition.<br /> - ne rien faire : c'est l'attitude la mieux admise et la plus répandue dans les sociétés modernes. Ce qu'on appelle "l'inhibition de l'action". On ravale sa rancoeur et ce coup de poing qu'on inflige pas à l'adversaire, on se l'assène à soi-même. Dans ce type de situation fleurissent les maladies psychosomatiques (ulcères, névralgies, rhumatismes...)<br /> - la fuite, dont il existe plusieurs sortes :<br /> la fuite "chimique", grâce à laquelle on oublie, on délire, on dort. Donc ça passe. Mais ce type de fuite dilue aussi le réel et, peu à peu, l'individu ne supporte plus le monde normal.<br /> La fuite "géographique", qui consiste à se déplacer sans cesse : on change de travail d'amis, d'amants, de lieux de vie. Ainsi on fait voyager ses problèmes, sans les résoudre pour autant, mais le décor est changeant, ce qui est déjà en soi plus rafraîchissant.<br /> la fuite "artistique", qui consiste à transformer sa colère, sa douleur en oeuvres d'art, films, musiques, romans... Tout ce qu'on ne s'autorise pas à clamer, on le fait dire à son héros imaginaire. Cela peut ensuite produire un effet de catharsis. Ceux qui verront les héros venger leurs propres affronts bénéficieront aussi de l'effet.<br /> Michel, tu as fait le bon choix !!!
X
Il y a médecine et médecine. Faut pas confondre celle qui ne voit que des objets, et parfois, hélas, trop peu souvent, celle qui considère l'humanité derrière a souffrance. Mais, pour ces mêmes raisons, je ne remercierai jamais assez la médecine de n'avoir pas voulu de mon ignorance, il y a une paire d'années...
M
Ecce homo! Telle est la question...
L
Face à l'inéluctable et effrayante absurdité de l'horreur,...La fuite semble la première solution...et la meilleure dans ton cas...mais comment aurais-tu pu construire dans ton esprit l'acceptation de ces peurs, surmonter celles-ci et découper, trancher...;)
D
Ce texte aussi, je l'aime bien : grinçant à souhait et le narrateur n'hésite pas à se tourner lui-même en dérision...
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