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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
28 avril 2015

Coup de foudre

bl007A quelques mètres de l'université, un petit fleuriste avait fait son trou, comme une oasis dans le bitume.

La verdure débordait généreusement sur le trottoir.

Pour  aller et venir de la fac à ma chambre d’étudiant, je passais rarement par là, prenant un itinéraire plus rapide mais qui n’avait rien de végétal. C’est ce que j’aurais fait, ce 22 septembre, s’il n’y avait eu, quelques jours plus tard, l’anniversaire de ma grand-mère et, dans la foulée, un contrôle de connaissances très important pour ma moyenne annuelle.

Je n’avais pas le choix. Je devais rater la fête de famille et potasser à fond le cours de Métaphysique Cellulaire. Je me sentais très faible sur ce sujet.

Pour m’excuser, j’avais décidé d’envoyer un gros bouquet de fleurs.

Et voilà pourquoi, ce jour-là, je fis un détour par l’oasis.

 * 

 En poussant la porte du magasin, j’étais préoccupé par mes révisions, en particulier le chapitre sur la conscience atomique, que je n’avais pas vraiment assimilé. Je me répétais à voix basse les formules fondamentales reliant forces mentales et tonus cardiaque quand, venant de nulle part, une voix douce me caressa les oreilles :

-          Bonjour, Monsieur.

Seuls les anges parlent comme ça. 

Mes pensées s’évanouirent immédiatement. J’eus l’impression paradoxale de me réveiller, d’entrer dans un rêve et, au même moment, d’ouvrir les yeux.

La boutique était un capharnaüm végétal.

En pire.

Un morceau de savane extra-terrestre, une jungle, un délire de chlorophylle, une débauche d'odeurs. Des feuilles, des feuilles, des fleurs, des feuilles, des fleurs, des fleurs… Il y en avait partout. Trop pour savoir où poser les yeux. Trop pour oser bouger les pieds.

Il me fallut un moment pour me rappeler ce que je venais faire là-dedans.

Je distinguai un petit chemin de paille qui longeait un ruisseau. La voie était indiquée mais tout restait à faire: plier les bras, tourner le buste, éviter les lianes qui pendaient du plafond, échapper aux branches qui m'attaquaient les cheveux.

Il faisait chaud.

Je pense qu’une plante carnivore m'a attrapé un doigt.

Il faisait humide.

Un crissement sous ma chaussure, j’écrasais des fourmis qui empruntaient le même tas de mousse que moi.

Il faisait chaud et humide.

Une sorte de boa dormait sous un buisson. Des exhalaisons étranges attaquèrent mes narines. Un moustique entra dans mon oreille. Une araignée me sauta sur l’épaule. Je me demande même si un alligator ne m'a pas caressé un mollet.

J'optais pour la marche arrière.

J'amorçais un demi-tour quand l’ange me rappela :

- Monsieur?

 Je levai la tête et scrutai la cime des feuillages, sûr qu’une telle voix ne pouvait venir que d’en haut.

Au loin, on devinait une musique.

Tout d'un coup, à vingt centimètres de mes yeux s’ouvrirent deux orchidées bleues. Elles me regardaient.

J'ai reculé d'un pas. Un vase a tremblé.

J'ai secoué la tête, écarquillé les yeux et découvris, entre deux baobabs, un bouquet de fleurs déguisé en jolie fille.

-          Monsieur?

Elle parlait en bougeant de jolis pétales rouges.
Je bafouillais quelque chose comme fleurs, heu, envoyer, heu, heu, grand-mère, anniversaire.

Je me souviens de son sourire lumineux. Comme un trait de soleil au travers des futaies.
Je ne sais pas comment elle a deviné ce que je voulais ni comment j’ai réussi à lui donné le nom et l'adresse de la personne destinataire du bouquet.

Ah oui, j’ai écrit.

-          Maria? Elle a le même prénom que moi… Et vous c'est comment?

-          Comment quoi?

-          Votre prénom?

 J'ai cherché. J’ai dit heu, haheu, heu. Elle a souri à nouveau. Une étoile a brillé sur ses dents.

-          C’est Michel !

-          Heu... quoi ? bl012

-          Michel, votre prénom ! Il est marqué sur votre carte bleue!

-          Ah oui, heu...

-          Et bien, au revoir, Michel.

Je ne sais pas comment je suis sorti.

Pendant deux jours, je n’ai pas pu ouvrir le moindre livre.

A mon examen de métaphysique moléculaire, j’avais la tête pleine de soleil. J’ai rempli trois pages de noms de fleurs, je crois même avoir dessiné une rose.

 

 C’est cette fois-là que j’ai eu ma meilleure note.

   

© M.DALMAZZO

 


 

 

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Commentaires
M
Tu as raison, Nicole, de parler de jungle des sentiments et de benêt, car l'amour rend benêt et n'est jamais un paysage tranquille.<br /> <br /> Merci pour ta lecture... et tes gentilles paroles. T
N
Michel,<br /> <br /> Cette profusion végétale dans la jungle des sentiments d'une jeune benêt distrait, quelle merveille!<br /> <br /> Un entrelacs de paradis légèrement inquiétant, si loin du sujet de préoccupations tellement aride, tellement sérieux, et voilà l'arc électrique provoqué par deux orchidées bleues...! <br /> <br /> Cela justifie un miracle universitaire et une bonne note.
M
Merci Olivier... je te laisse découvrir la suite (17-Mon pire souvenir) et le reste...<br /> Bienvenue.
O
J'ai adoré ce texte, je reviendrai voir les autres !
M
Merci, Mme, pour ce gentil commentaire... Vous parlez d'épousailles? Je crains de vous décevoir. Quelques pages plus loin (Mon pire souvenir) vous éclaireront sur la question...<br /> A bientôt
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