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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
28 mars 2009

Mon pire souvenir

Perlimpinpinologie_03Depuis longtemps, j’essaie sans succès de mettre noir sur blanc mon pire souvenir. Je commence, j’arrête, je recommence, deux, trois fois, et, finalement, je reporte!
Cette fois-ci c’est décidé, je vais jusqu’au bout.
Pas facile.
Je recule dès les premières phrases.
Ce n’est pas seulement une question de mémoire. On a beau avec le temps, avoir enfoui les instants pénibles sous de belles images, on a beau les avoir recouverts de berceuses, de bisous, de caresses, de sourires, de contes de fées, de mille et une douceurs, la peine est toujours là. On vit avec, c'est à dire à côté, ou plutôt dessus., mais la mémoire trouve toujours où creuser si on insiste un peu.
C’est plus difficile côté estomac. Là, il faut faire attention. Si on n’y va pas doucement, on rouvre un vieil ulcère, le goudron remonte d’un coup et, avant qu’on ait pu faire un pas vers l’armoire à pharmacie, il aura laissé dans la bouche un sale goût, un qui résiste au lavage, typique du mauvais souvenir : le mauvais goût que l’on peut avoir de soi-même.
Car l’homme a un goût et ce n’est pas en se léchant les doigts qu’il le découvre, mais aux renvois de bile de sa mémoire.
Chez moi, comme chez d’autres, la bile a un pH compris entre 7,6 et 8,6 et mon foie en produit environ trois quarts de litres par jour.
C’est dire que je connais!

Bon, j'ai dit que je le ferai.
J’ai peut-être parlé un peu vite.
Je sens que je vais me faire du mal.

Avant de commencer, il faut que vous sachiez tout le mal que je pense du Bégonia Erythrophylla. Le nom latin lui fait trop d’honneur. Je préfère dire bégonia rhizomateux, rhizomateux traduit bien son aspect peu ragoutant.
Vous voyez certainement de quelle plante il s'agit ?
Un tas vert, d’une vingtaine de centimètres de haut au maximum sur à peine plus d’envergure, avec des feuilles rondes, lisses et moches, type nénuphars, et des pustules rose-sale qu'on ose à peine appeler des fleurs. Une plante économique, une plante pas compliquée à vivre, mais une vulgaire plante de neurasthénique.
Ce n'est pas un hasard si, en langage des fleurs, bégonia signifie cordialité.
Ou amour tranquille. Ce qui revient à peu près au même.
Les fleuristes sont des fins psychologues.
Mais, ça on ne le sait pas tout de suite. Quand on est jeune, on croit que toutes les plantes sont des décorations du Bon Dieu.
Moi, c'est à vingt deux ans que j'ai perdu mes illusions.
Bon, j'arrête et je me lance.

J’étais étudiant. Il y avait une fleuriste, à quelques pas de l’université. J’en ai déjà parlé. Elle s’appelait Maria et je n’osais lui dire que je l’aimais...

Comment Xavier T. avait-il pu remarquer mon émoi?
Xavier T. était l’espèce de camarade d’université pour lequel le terme de camarade est particulièrement inapproprié.
- Alors, ta petite fleuriste, me lançait-il, tu lui as déclaré ta flamme? Attention! Si tu ne fais rien, je vais m'en occuper!
Il n’en fallait pas plus pour faire rire la petite cour qui s’agitait autour de lui.

Un soir, à la sortie des cours, il me fit un signe de la main doublé d’un sourire fier et béat qui signifiait "regarde-moi bien, petit homme".
Je le suivis du regard. 
Il traversa la rue et se dirigea d'un pas rapide vers ma fleuriste. Il ne manqua pas de se retourner deux ou trois fois pour vérifier que je ne l'avais pas perdu pas de vue, et tel un propriétaire, entra dans la boutique.
Je bouillais.
J'ai traversé à mon tour et alla me planter au coin de la vitrine. Xavier et Maria discutaient comme de vieilles connaissances. Il s'est retourné, m'a cherché du regard, et m'a aperçu.
Ils riaient.
Il fallait que je réagisse.
La colère aux joues, j'entrai dans la boutique. Il arriverait ce qu'il arriverait.

-Ah! Michel, tu nous fais bien rire! dit l’affreux en me voyant approcher

J'avançais la tête baissée, prêt à faire un malheur. Je tendis le bras, décidé à utiliser le premier objet qui me tomberait dans la main. Etant par nature et par expérience plus pianiste que boxeur, j’espérais un bâton, une manivelle, une clef anglaise, ou tout autre objet qui donne du nerf aux muscles... mais ce fut une fougère ! Une grande fougère mais une simple fougère ! Tant pis, je ne pouvais plus reculer ! Sans hésiter, d'un revers de tennisman, dans un aller retour retentissant, je lui décochai une claque végétale.
Ca a fait flip puis  flop
Les mots entraînés par le geste vinrent sans effort:

- Xavier, je n’en peux plus de tes sarcasmes !
Mieux que le Cid et Horace réunis.
Le silence se fit.
Il ouvrit des yeux ronds.
J'avais fait mouche.

Il explosa de rire.
- Vous avez vu ça! Non, mais vous avez vu ça! Vous vous rendez compte comment il a dit ça?
Il se tenait le ventre et riait de plus belle.
J'insistai en élevant la voix :
- Tu as intérêt à t’excuser !

Il dressa le buste, je lui arrivais au menton, prit un ton grave et me dit, en avançant d’un pas:
- Mais tout de suite! Tiens, viens là, sur le trottoir!
Et il se remit à rire.
C'est à ce moment que Maria s’interposa :
- Mais non, mais non! Vous n'allez pas vous battre pour si peu!
Elle ressemblait à une institutrice.
- Allez, serrez-vous la main!
Elle m'attrapa la main droite, tira, alla chercher celle de Xavier et, sans hésiter, emboîta l'une dans l'autre, et secouant le tout, conclut avec fermeté:
- Voilà! C'est bien!

Je n’osai rien dire.
Satisfaite, elle s'approcha de moi, et, mine de rien, me poussa gentiment vers la sortie.
Sur le seuil de la boutique, elle se baissa, attrapa un petit pot de fleurs et me le mit dans les mains.
- Tenez, Michel! C'est un cadeau. Pour être sûre que c’est oublié.
Pour sceller la paix retrouvée, elle tendit ses lèvres et posa sur ma joue un petit baiser, en me murmurant à l'oreille:
- Allez, au revoir Michel !
Et elle ferma la porte.

L'incident était clos.
Je restais quelques secondes bêtement planté à l'orée du trottoir avant de me ressaisir.
Je devais continuer à faire preuve de sang froid.
Je bombai le buste, écartai les épaules, passai une main dans mes cheveux et m'en allai, lentement, droit comme un matador qui ignore le taureau.

J'étais content.
D'une pierre deux coups, j'avais remis Xavier à sa place et impressionné ma petite fleuriste.
Je rentrai dans ma petite chambre, m'allongeai sur le lit, et repensai fièrement à tout cela.
Une bouffée d'optimisme me donna subitement l'envie de pousser l'histoire à mon avantage. Je savais que la petite boutique fermait à 19heures30. Un coup d'oeil à ma montre m'indiqua que j'avais trente minutes. C'était plus que suffisant pour passer une chemise, et courir l'inviter à dîner.
En chemin, je choisissais les mots, j'imaginais les phrases.

Quand j'arrivais, ils partageaient un long baiser.

J'ai vacillé.
Ils ont tourné la tête et m’ont aperçu. Il s'illumina et dit:

- Eh! Michel, tu arrives trop tard, la boutique est fermée!
Je la vis se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire.

Je m'enfuis en courant.
La première chose que j’aperçus en retrouvant ma chambre fut la plante qu'elle m'avait offerte.
J'attrapai le pot, et le jetai au sol.
Il éclata comme une bombe. L’immeuble ne s’est pas écroulé et ça ne m'a pas calmé.

J'ai arraché une feuille, je l'enfouis dans ma bouche, j’ai mâché, j’en ai arraché une autre, j’avalai, puis une autre, je tassais, puis une autre, j'arrachais, je remplissais, puis une autre, je mâchais, j'avalais, je remplissais.
Je n'ai vraiment été satisfait que lorsque toute la plante y fut passée.

C'est l'interne de l'hôpital, qui à la description que je lui en ai faite, m'a appris qu'il s'agissait d'un bégonia Erythrophylla.
Il me décrivit quelques unes des vieilles utilisations pharmaceutiques du végétal -émétisant, purgatif, et diurétique- lesquelles sont probablement à l’origine de ces pittoresques croyances qui font des intestins le siège de la pensée.
Inutilement, car j'en avais déjà découvert par moi-même toutes les qualités naturelles.

© M.DALMAZZO


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Commentaires
M
elle aurait du t'offir un papyrus....
M
en matière d'amour, nous vivons le plus souvent en état d'auto-privation !
B
Il est très touchant votre pire souvenir car c'est celui d'une déception amoureuse et de ses conséquences. C'est très agréablement raconté. On peut sourire parce qu'il y a de l'humour<br /> dans le récit et pourtant, pourtant ce sentiment de trahison et d'abandon quand on le vit, c'est réellement douloureux.
D
Vous avez raison, le bégonia est une plante moche, sans intérêt (sauf peut-être quand il est double) et il paraît vite miteux, quand sa floraison faiblit... J'aime bien votre récit, le début, où l'on se demande si vous allez vraiment raconter ou encore vous défiler, puis la confrontation, qui ne manque pas d'humour... <br /> Je reviendrai sur votre blog. Et sur votre page Facebook. Merci pour votre commentaire d'hier à propos de mon collage. Si vous voulez en voir d'autres, il y en a sur mon blog "Phrasibuleuse". Amicalement.
M
Merci pour votre message!<br /> Au risque de décevoir certains lecteurs, j'avoue ne pas connaître grand chose à la botanique. La relation que j'entretiens avec le bégonia n'a toujours été que littéraire, platonique devrais-je dire! <br /> Je vais de ce pas me renseigner...<br /> Amicalement.
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