Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Perlimpinpinologie, humour et philosophie
2 juillet 2009

Préambule (La beauté)

perlimpinpinologie_22J’étais désespéré.
J’allais me pendre, me noyer, j’hésitais sur les modalités quand, n’y tenant plus de me voir broyer du noir, mon ami Alphonse me secoua par les épaules et me dit d’une voix ferme:
-
Ecoute, Michel, tu ne vas pas te laisser aller !
-
A quoi bon? Le mois dernier, Eléonore me quitte et maintenant c’est le CFRPM (*) qui ferme ! Tout est foutu !
-
Et bien, non !
-
Quoi, non ?
-
Je te dis que non ! Il y a toujours quelque chose à faire!
-
J’ai tout essayé, j’ai fait des rapports, des dizaines de rapports, j’ai expliqué, plusieurs fois, encore et encore. Rien à faire, ils ne veulent rien savoir! Le labo va fermer !
-
Non ! Tu as essayé de convaincre les politiciens, maintenant il faut que parles directement à leur patron !
-
?
-
Le peuple, Michel, le peuple ! Adresse-toi au peuple !

L’opiniâtreté d’Alphonse a toujours fait mon admiration.
Il mit une main sur mon épaule, bomba le torse, leva le menton, et, me regardant droit dans les yeux, me décrivit son plan de bataille. Simple et précis :
- objectif: mobiliser les foules.
- moyens: les médias, la presse, l’édition.
- solution: s’appuyer sur les services d’un professionnel.
Il avait justement parmi ses relations l’homme de la situation.
Un coup de téléphone et nous avions rendez-vous.

*

Je n’avais jamais rencontré d’expert en communication. Le métier de perlimpinpinologue en offre rarement l’opportunité. En extrapolant le principe selon lequel un médecin se doit d’être mieux portant que ses patients, j’imaginais tout au plus que cette sorte d'homme parle plus clair et comprend plus vite que quiconque. J’en déduisais qu’il devait posséder une voix et un regard d’hypnotiseur.
Ce n’était pas du tout ça.
L’expert chez lequel Alphonse nous avait entraînés avait une voix normale, des yeux quelconques et donnait l’impression d’un déjà vu je ne sais où.
Protégé par un bureau de ministre, confortablement enfoncé dans le fauteuil de cuir pivotant qui va avec, l'homme de l'art m'écoutait en fixant le plafond, tel un météorologue qui médite en regardant le ciel.
Au travers du cumulo-nimbus que dégageaient ses pensées, j'essayais, sans y parvenir, de deviner ses réactions.
Il restait imperturbable.

Il me laissa parler pendant plus d’une heure, caressait de temps en temps sa barbe et ajoutait simplement ici ou là un je vois, je vois, ou un bien, bien, continuez. Une seule variante, une fois, un énigmatique tiens, tiens, suivi d’un angoissant que voulez vous dire ?  quand j’ai parlé de Botticelli,
Il a soulevé très haut ses sourcils.
J’ai cru devoir me justifier:
- Oui, un Botticelli ! Il sera sacrifié bien sûr. Comment voulez-vous faire autrement ? Le beau est dans le beau ! Nous ne trouverons rien dans des approximations ! Je l’ai expliqué au ministre ! Les œuvres que nous avons déjà utilisées nous ont permis de savoir et de comprendre ! Maintenant, nous savons! Maintenant, nous comprenons! C’est la pensée de l’artiste que nous cherchons et nous devons mettre le paquet si nous voulons des résultats !
Ceci dit, j’ai choisi des toiles qui restent enfermées dans des coffres-forts, pour lesquelles le public se contente de copies… c’est quand même un moindre mal!
Vous comprenez ?

Il avait l’air de comprendre.

J’ai tout expliqué, mes recherches, mes découvertes, mes espérances, et, pour finir, mon désespoir :
- Mon laboratoire va fermer!

J’attendais le verdict.

Alphonse posa sa main sur mon avant bras, en signe de compassion et d’encouragement.
Une petite tape sur la main me fit comprendre qu’il allait prendre la parole:
- Mon cher Dupont de Lille…
Alphonse apostrophait notre hôte par son nom de famille, comme le fait un instituteur croisant un des ses anciens élèves:
- Mon cher Dupont de Lille, il faut que tu aides mon ami!

Silence.

Le barbu redressa son fauteuil, se racla la gorge et commença:
- Alphonse, tu as bien fait de venir me voir… Je dois avouer que je n’ai pas tout saisi dans les explications du Professeur... mais j’ai compris la gravité de la situation, et en particulier que nous sommes confrontés à une urgence!
- Alors, tu as tout compris !
- La seule chose à faire est d’informer le public !

Alphonse exulta :
- Tu vois, Michel ! Je te l’avais dit !

L’expert leva les yeux, aspira deux ou trois mouches qui passaient et se lança:
- Avec des sujets comme celui-là, il est impossible d’attaquer de front les médias. La radio, la presse, la télé, ces gars-là sont difficiles. Il faut leur mâcher le travail, et tout leur expliquer… Il n’y a qu’un seul moyen! …

Nous étions suspendus à ses lèvres.
Il attendit un moment.
Nous préparions notre intelligence.
Il tourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche, humecta ses lèvres, essuya sa barbe et, fin prêt, décréta d'une voix solennelle:
- …Professeur, vous allez écrire un livre!

Ma mâchoire inférieure prouvait qu'il avait réussi à me surprendre.
- Oui! Un livre dans lequel vous allez raconter tout ça ! Il faudra faire un gros effort de pédagogie, mais que voulez-vous?
Il leva les bras pour les faire retomber comme le fait l'homme sage patiné de réalisme quand il songe aux difficultés du monde.
- .. tout le monde n’a pas une formation scientifique poussée… Il faudra aussi parler de vous, votre enfance, une amourette, une déception, un ou eux souvenirs croustillants…
Alphonse s’agita, cela suffit à modérer l’expertise :
- .. Ne vous inquiétez pas, il en faut un peu, juste ce qu’il faut… pour le coté humain, quoi !

L’expert aspira, force deux ou trois sur l'échelle de Beaufort, et reprit :
- Une fois le livre publié, je m’occupe de la presse. Tambours, trompettes, violon, etc. Je connais la musique, ne vous inquiétez pas. Je fais jouer l'orchestre. Puis j'attaque, je crie au scandale, je hurle. Révélations, secrets d'état, incompétences, gâchis, conflits d'intérêts, etc. La presse aime ça. je vous garantis un effet maximum….

Silence préparatoire et conclusion :
- Voilà, mon cher Professeur! Il n'y a pas de temps à perdre. Un livre, vite, vite!

J’étais abasourdi.
Alphonse eut un éclair:
- Michel a ce qu’il faut ! Il m’a déjà montré quelques pages de son journal, des notes, des réflexions… et c’est vraiment pas mal !
Dupont de Lille enchaîna :
- Bravo ! Alors, c’est gagné ! Vous prenez les pages les plus significatives, vous les mettez en forme et voilà !

Je me voyais éplucher mes vieux papiers :
- Quand même!

Ils se mirent à deux:
- Allons Michel ! Ce n'est pas le bout du monde !
- Pour commencer, vous allez vous installer à la campagne. Ne cherchez pas, j'ai ce qu'il vous faut: mon centre de formation. Il est tranquille, confortable, et tout est prévu: le personnel, la piscine, le sauna, le restaurant, le golf, et tout et tout….. C’est là que j’accueille mes clients importants.
- Mais, mais... je n’ai pas les moyens !
- N’en parlons pas ! Je dois bien ça à Alphonse.
- Je n’en attendais pas moins de toi, mon cher Dupont.
- Vous, Professeur, vous vous détendez et vous écrivez. Personne ne vous dérangera. Voilà! Alors, nous sommes d'accord, mon cher Professeur? …Vous commencez… disons...lundi!

 

Quelle leçon ! Elle me montrait la dure réalité du combat des idées.
Je restais tétanisé par l'évidence.

Quelques détails, trois phrases superflues, dix remerciements et nous nous retrouvâmes sur le seuil de la porte.
Dupont de Lille gardait ma main dans la sienne.
Sur le ton de la confidence, il me demanda :
- Juste une question professeur, quel intérêt y a–t-il à synthétiser la beauté ?
Comment pouvait-on se poser la question ! Comme quoi, tout expert est le profane d’un autre ! J’étais content de répondre:
- Mais c’est évident! Il nous suffira d’une goutte de beauté pure pour la reproduire! Vous rendez-vous compte ? Avec quelques coups de pinceaux, nous embellirons le monde!
Il hocha la tête, et me rendant ma main :
- Bien sûr… Bien sûr, suis-je bête ! Et bien… à lundi, mon cher Professeur!

Voilà comment je suis devenu écrivain.

 

© M.DALMAZZO

 

 

 

(*) Le CFRPM est le Centre Français de Recherche en Philosophie Moléculaire. L'auteur en est le directeur.


 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Monique, bravo! Je suis abasourdi! Tes citations sont somptueuses. Ta confiance est aussi très grande! Merci de ta gentillesse!
M
Je comprends ta désillusion devant l'expert en communication "Mon dieu, le plus souvent l'apparence déçoit" (Molière)... Moi-même, j'ai été troublée de rencontrer, dans le monde médico-social, autant de professionnels névrosés !<br /> <br /> "Avoir un bon copain, c'est tout c'qu'y a d'meilleur au mon on on de..." (Brassens)<br /> Michel,tu es né coiffé ! avoir Alphonse comme ami "Celui qui devine toujours quand tu as besoin de lui" (J. Renard) au bras long... A-t-il d'autres jokers dans sa manche ?<br /> <br /> "Pourquoi synthétiser la Beauté ?" interroge l'expert.<br /> "Le Beau est toujours bizarre" (Baudelaire) et "L'opinion fait la Beauté" (Bossuet)...<br /> Courage Michel, brave l'opinion, nuage dans la vérité du ciel; épanche tes convictions "Le mot ne manque jamais quand on possède l'idée" (Flaubert); avec opiniatreté défend tes idées "Il n'est de plus grande puissance qu'une pensée dont le temps est venu" (V. Hugo); en homme averti, cultive la patience amère, tu récolteras ses doux fruits car avec du temps et de la paille, les nèfles mûrissent;<br /> Et face à la dure réalité du combat des idées, scande le slogan des funambules " On verra beau jeu si la corde ne rompt"; use de ton talent pour que l'on te donne les moyens de voir les effets surprenants de ton entreprise...
M
Thierry, merci de ta lecture.
M
Callivero, le grain de folie? <br /> Tu crois donc que si la beauté pure existait, elle devrait avoir un côté narcotique ou euphorisant ou neuro incitateur ou qqchose comme ça...Tu as probablement raison. Du coup, elle serait interdite en vente libre!
M
Zorba, j'adore ton commentaire! <br /> <br /> Dire que je n'ai pas pensé en écrivant cette histoire à embellir l'homme (et/ou la femme), mais plutôt le monde! L'inventeur est souvent un mauvais industriel!
Publicité