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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
14 mars 2015

1849-1870

Unevie

Y-a-t-il des feuilles moins utiles à l'arbre que d'autres ?

Hippolyte Lepetitfèvre est né le 16 Avril 1849, rue des Vitriers, à côté de la buanderie Bersault, au sud de Bourg-Les-Tours.
Sa mère, Adélaïde Lepetitfèvre, née Pottere, était laveuse chez Boursac, la teinturière de la place des Saints Innocents, près de la cathédrale.
Son père, Hector-Jules Lepetitfèvre, était cordonnier-bourrelier. On le tenait pour un artisan habile et honnête, ce qui lui valait les grâces des bourgeois de la ville..
On donna à Hippolyte le prénom de son grand-père paternel, mort des bronches l'année précédente, en leur laissant trois louis d'or et une petite maison familiale, près de la Mironde, dans le quartier de Haute-Grange. C'est là qu'Hector et sa femme s'installèrent en décembre 48 et qu'Hippolyte vint au monde.
Madame Leptitfèvre donna le sein à son garçon, puis à deux autres petits qu'elle avait pris en nourrice. Cela dura pendant près de deux ans, jusqu'au jour où sa poitrine se mit à rendre un lait jaune et sale. L'année suivante, elle eut deux filles, deux jumelles. Une ne passa pas la Noël. 
A sept ans, Hippolyte alla à l'école publique de la rue des Chambres Metières. Il en apprit suffisamment pour aider son père à préparer les colles et les graisses, tendre les peaux, cirer et lustrer le cuir, recevoir les clients et livrer les commandes jusqu'aux villages voisins.
Il venait de fêter ses treize ans quand un chien errant, attiré par sa gamelle, l'attaqua alors qu'il mangeait sur le seuil de la boutique. L'animal eut à peine le temps d'enfoncer les crocs dans son mollet qu'Hippolyte lui avait déjà perforé plusieurs fois le coeur avec une gouge attrapée sur la table de coupe.
Sa petite soeur fut emportée par une fièvre pendant l'hiver 65.
En 67, il embrassa deux fois Gervoise, une grosse blonde au rire bête, qui se refusa à lui, pour épouser Benoit, le fils Maillassac.
Voilà, c'est à peu près tout.
L'ordre de mobilisation de Juillet 1870 l'envoya rejoindre le 52ème bataillon de marche à Conté-en-Champagne.
Quelques jours plus tard, et avant d'avoir fait fonctionner son fusil une seule fois, il fut touché au sternum par une balle prussienne, tirée depuis le haut du cimetière de Juranville. Hippolyte mourut face à terre en inspirant une odeur de cresson et de plâtre mouillé.
Sa dernière pensée fut pour la Bertrande, une qu'il aimait et à qui il n'avait jamais parlé. 
Je me souviens de son regard timide, de sa gentillesse. Je me souviens de sa vie, de sa mort, vraie, inventée, quelconque, extraordinaire.

 

(c) M.DALMAZZO

 

Et.. ici ou là: chez l'éditeur, ou ailleurs...


 

 

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Commentaires
M
Oui, Zorba, tu as raison de parler d'exercice. Il y avait comme une sorte de mise en abîme dans celui-ci: il est tellement possible d'imaginer une vie en quelques mots, et de lui donner une réalité, qu'on peut s'interroger sur la réalité de notre propre existence. <br /> <br /> (le vertige de l'écriture, je suppose.)<br /> <br /> Ceci il en faut beaucoup moins pour me faire rougir ( mais tu t'en doutes)... D'autant que je te crois capable de trouver facilement ce que tu cherches.. <br /> <br /> Merci pour ta lecture.
Z
Superbe exercice d'écriture. Pas mieux. <br /> <br /> ;;;ou alors il faut chercher longtemps.
M
Qu'est-ce qu'une vie normale? Encore plus difficile de dire ce qu'est une vie utile.. De la plupart de ceux qui ont vécu, il ne reste que ce qu'on peut en imaginer.. L'Ecclesiaste l'avait déjà dit ( vanite, tout est vanité), à sa façon, mais il n'avait pas dit combien le seul fait d'exister ou d'avoir existé est un fait extraordinaire..<br /> <br /> Merci, Nicole pour ta lecture et tes gentilles paroles.
N
J'aime beaucoup ce texte qui m'a fait penser aux "vies minuscules" de Michon. De la profondeur, des notations crues, cruelles, lapidaires.<br /> <br /> Du grand texte dans sa violence et son côté ramassé.<br /> <br /> Merci Michel!
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