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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
20 avril 2009

La célébrité

Les travaux qui me rendirent célèbre furent publiés dans le numéro 190451 de "Perlimpinpin Scientists"Perlimpinpinologie_09 de Mars 1992, sous le titre "Perlimpinpinite proved in paramecillium mirabilis".
Un de mes amis, chercheur italien renommé, m'a avoué, quelques temps plus tard, avoir eu à la lecture de mon article une bouffée de joie incontrôlable. Il a poussé un cri phénoménal, s'est mis à danser comme un gamin et n'a retrouvé l'équilibre habituel à sa nature timide qu'après avoir éclusé deux bouteilles de chianti !
Ce fut une exception.
Mes collègues métaphysiciens moléculaires sont d'un tempérament calme et pondéré (et non triste ou maussade comme aimeraient le faire accroire certains confrères jaloux de disciplines concurrentes). Ils réagirent avec la circonspection qu’imposaient l'importance de mes découvertes et la relative jeunesse de ma carrière de perlimpinpinologiste. Toutes les expériences, déclarèrent-ils, seront méticuleusement vérifiées plusieurs fois avant  qu'on puisse espérer d’eux un quelconque avis.
Rigueur, rigueur. Ainsi avance la science.
Ce ne fut qu'au terme de quelques mois que les revues spécialisées publièrent les premières réactions : peu ou pas d’opposition, quelques remarques, autant de questions. C’était assez décevant! Au fil des semaines, le nombre d’articles consacrés à la question augmenta, confirmant tous mes résultats, mais toujours avec prudence.
Dois-je l’avouer, je me sentais un peu découragé ?
Le soulagement vint enfin en Avril 1993, quand les deux principaux laboratoires concurrents du CFRPM (*) firent part, quasi simultanément, de leur décision de réorienter leurs recherches dans la direction que j'avais ouverte. Mes collègues débouchèrent le champagne. Félicitations et demandes de collaboration venant du monde entier, inondèrent mon bureau..
Tous me rendaient hommage. Avec calme et dignité.
Telle est la récompense que tout vrai défricheur de la connaissance espère mériter un jour.

Quand la presse s'en mêla, ce fut une tout autre affaire.
Un reporter scientifique me contacta pour, disait-il,  apporter au public une information sérieuse sur mes recherches, il en avait ouï-dire toute l’importance.
Il m’invita dans un restaurant convenable.

Comment un simple repas peut-il avoir de si grandes conséquences?

Le lendemain, un grand journal du soir titrait sur trois colonnes "Extraordinaire découverte française: les microbes ont une âme!".

Quelle incroyable incompréhension!
J'appelai aussitôt le journaliste:

- Enfin, saperlipopette, l'âme n'a rien à voir là dedans!
- Professeur, vous êtes trop pointilleux !
- Enfin! Je vous ai parlé de  perlimpinpinité, pas d’âme ! L'âme, personne ne sait de quoi il s’agit! Ça se trouve, c'est ... notre ombre... ou notre reflet ou le sel de nos larmes ou le carbone 14 de notre moelle osseuse, ou quelqu'un en nous... comme un parasite ...ou un passager ou un prisonnier ou... ou ... que sais-je ? En tout cas, un inconnu ! De toute façon, ça rien à voir avec la perlimpinpinité!
- Allons, allons! Il faut des mots simples! La terminologie scientifique est tellement compliquée ! Dédramatisez. La science avance, voilà ce que les gens retiendront. Le reste n'est pas bien grave!

Je bafouillais. Pas bien grave! Pas bien grave!
Inutile d’insister. Le mal était fait.

Le lendemain, la boulangère avec laquelle j'entretenais pourtant des relations suivies, riches en croissants et baguettes cuites à point, refusa de me servir! Le soir, je découvrais les pneus de ma voiture crevés et la porte de mon appartement était couverte de noms d'oiseaux...
Il y eut, heureusement, quelques bonnes surprises.
Ma voisine, par exemple. Je la connaissais à peine, je ne suis pas sûr de l'avoir jamais saluée, et la voilà qui m'offre des chocolats avec un regard en biais dont on sent qu'il veut dire quelque chose. Ou la secrétaire du laboratoire... Passons.

D'autres quotidiens reprirent la nouvelle, puis la radio et la télévision. On me demanda ici un entretien, là un article. On me sollicita pour participer à un débat, soutenir une manifestation,  signer une pétition... J'avais beau démentir, apporter les précisions nécessaires, expliquer et re-expliquer encore, c'était trop tard.
La machine s'était emballée.

Je mesurais à la lecture du courrier, énorme, que je recevais chaque jour, l'extraordinaire  quantité de réactions que les médias avaient provoquées en interprétant ma découverte à leur façon.
Voici quelques exemples qui vous feront comprendre ce que je veux dire.

D'abord, une curieuse lettre de félicitations :

Cher Professeur,
Ainsi l'âme ne serait qu'un tas d'atomes ! Matière, tout est matière. Voilà donc la vérité!
La religion est donc à mettre aux oubliettes. Je m'en doutais confusément, mais vous l'avez démontré. Merci! Mille fois merci!
L'homme désormais ne pourra plus jamais prétendre à une quelconque majuscule.
Je vous transmets toute l'admiration ...

Qui mérite la comparaison avec la suivante :

Mon bien cher frère,
Pourquoi Dieu aurait-il fait le don d'âme à la plus petite des choses vivantes, le microbe, s'il n'avait donné à l'homme plus encore?
Grâce à vous, nous savons désormais que le Seigneur nous a donné le meilleur de lui-même.
Je prierai pour vous chaque jour.
Respectueusement vôtre ...

Ou celle-ci :

Monsieur le Méta-philosophe,
Pour tout intellectuel sérieux, votre découverte signifie que la perlimpinpinité est le seul langage qui nous permette de communiquer avec le monde. Mieux, le connais-toi toi-même est aujourd’hui dépassé, le connais-toi en toi-même sera bientôt révolu, le connais-toi chez l’autre commence ! La conscience nous apportera la liberté.
Merci! Mille fois merci!

Ou plus technique :

Monsieur le Chercheur,
Il me semble qu’un élément scientifique important ait été oublié dans vos recherches ! Avez-vous pensé à l'uniformisation totale et sans faille qui passe tôt ou tard sur tout être vivant, à savoir, la mort ? Tout simplement, la mort !
Vous auriez confondu ce détail avec de la perlimpinpinité que ça ne m’étonnerait pas !
Vous n'avez probablement démontré que l'extraordinaire banalité des couloirs qui  relie la vie à l'au-delà!
Dans l’espoir de faire ainsi progresser la science, ...

Il y avait aussi plus abrupt :

Mon fils, 
Si ce qui fait notre être, notre essence est une simple formule chimique, j'espère que le jour où vous la synthétiserez, elle vous sautera à la figure, comme le pet de Dieu que vous méritez...

Voire pire:

Monsieur l’idiot,
Qu'un microbe machinchose d'un demi-millimètre de long ait ce que certains cinglés appellent une âme me parait déjà amplement loufoque, mais que la science ait perdu son temps à le démontrer, voilà de quoi s'arracher les cheveux!
On peut se demander à quoi sert notre argent!
Je tiens à vous dire combien votre stupidité ..

Il y avait aussi très bref:

Si jamais je vous croise, je ne manquerais pas le plaisir de vous mettre mon atomisade(*) de main sur la figure.

L'effervescence culmina le 23 Septembre 1993, au congrès annuel de perlimpinpinologie.
Habituellement, le symposium se tenait dans une des salles de cours d'une école Primaire, dirigée par la femme d'un des membres éminents du comité d'organisation, mais cette fois-ci, les organisateurs avaient jugé utile de retenir le Palais des Congrès, à Paris.
Toutes les conférences portèrent exclusivement sur les conséquences de mes découvertes et j'étais naturellement le premier intervenant.
On connaît les détails.
Au deuxième jour, la foule assaillit les locaux. Les partisans de multiples théories s'affrontèrent et la police dut intervenir. Il y eut des blessés et quantité de dégâts.
On retrouvera tout ça dans la presse de l'époque.

J'étais entré dans le monde de la notoriété.

© M.DALMAZZO

(*) Rappelons que le CFRPM désigne le "Centre Français de Recherche en Philosophie Moléculaire" et qu'une atomisade est un paquet d'atomes.


(NDLR: nous recommandons au lecteur de se reporter à la page "Perlimpinpinité" pour une bonne compréhension des quelques termes techniques employés ici par le Professeur, mais cela n'est pas nécessaire....)


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Commentaires
Z
Tout à coup, il me vient un doute.<br /> Un jour que j'observais,en cours de biologie, un microbe au microscope, la radio passait le chant des partisans. Hé bien il m'a semblé que le microbe pleurait...<br /> J'ai fermé ma gueule, vous pensez bien.
F
Si les microbes ont une âme, ils croient en l'Enfer et le nomment Antibiotique.
D
Je me souviens du 23 Septembre 93 : j'étais au Palais des Congrès et l'on me compta parmi les blessés. Je faisais alors mes débuts de journaliste ; dans la bousculade, mon stylo est tombé et je me suis bêtement baissée pour le ramasser. C'est alors que je fus piétinée sans égards par une troupe de policiers survoltés... Résultat : deux côtes cassées et une luxation de l'épaule. J'ai abandonné le journalisme pour un travail de bureau, c'est moins risqué !
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