Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Perlimpinpinologie, humour et philosophie

7 mars 2016

Le tableau noir

 

tab

 

Madame la professeure de dessin,

Mon fils, Michel, a fait une grosse bêtise hier. 
Je ne cherche pas à la minimiser.
Je viens simplement vous demander de revoir sa punition: 
"Recopier 200 fois la phrase: je ne dois pas peindre en vert le tableau noir "

Sur le fond, vous avez raison ! 

Le tableau noir peint par Michel avait été acquis dans un objectif précis. Selon toute vraisemblance, il donnait satisfaction. Personne, pas même le créateur de l’objet, ne peut s’attribuer le droit, seul, d’en modifier l’usage.
Car l’usage fait loi et nul ne peut détourner la loi: modifier serait contester !
Et encore ! La contestation n'est pas contestable si elle apporte un sens! 

Or que peut signifier de peindre en vert un tableau noir?
On pourrait y voir un acte de résistance politique ou une revendication écologique, mais du ha
ut de ses onze ans, je n'imagine pas que mon fils Michel ait eu cette intention !  
Par ailleurs, il est sorti de sa période caca-boudin depuis quelque temps. Une rechute est possible, bien sûr, mais cette forme de régression serait étrange. Elle est en tout cas inconnue chez Lacan. On peut donc l'écarter. Je vois plutôt dans ce comportement un début de sensibilisation artis
tique. Disons un acte poétique, enfantin, certes, mais poétique tout de même.

De toute façon, il est inutile de chercher les raisons.
En peignant en vert un tableau noir, qu'a-t-il fait, en fin de compte?
Il l'a ridiculisé, il l'a privé de son nom, il l'a rendu méconnaissable, inconnu.. Pire: il lui a enlevé son utilité, sa raison d'être, le seul bien d'une chose! 
Car il est peu probable qu'écrire avec de la craie blanche sur un tableau vert reste lisible. 
Il faudrait utiliser des craies d'une autre couleur.
La couleur complémentaire, le rouge, est la plus appropriée.
Mais les daltoniens y trouveraient à redire. 
Ce ne seraient probablement pas les seuls, tant les inconvénients sont multiples: le rouge est plus salissant que le blanc; les filles s'en mettraient sur les lèvres, les garçons sur les joues; le rouge symbolise l'interdit, l'erreur, le péché....
Convenez qu'on ne peut s'y résoudre sans biscuit. 
Il faudrait solliciter l'avis d'experts, des pédagoges, des psychologues, des religieux, faire des sondages, des expérimentations... Les finances publiques n'ont pas besoin de ça. 

On voit bien où tout cela nous mène. 
Je n’insiste pas…Il faut punir !
Punir pour éviter que cela se reproduise! Punir pour se faire comprendre ! Punir pour éduquer!
Telle est la noble mission que vous et moi devons assumer.

Vous voyez bien que je suis d’accord avec le principe de votre punition.

C’est sur la forme que je me permets de vous solliciter.
En effet, si vous admettez mes précédentes remarques (ce dont je ne doute pas) vous conviendrez que la phrase punitive mérite un ajustement éducatif. C'est pourquoi je vous propose celle-ci: 

Je ne dois pas peindre en vert le tableau noir, car je ne dois pas faire de poésie pendant le cours de dessin.

Voilà.

Il faudrait aussi faire passer le quota de lignes demandé de 200 à 100 pour éviter une injustice (car la phrase a été notablement allongée).

Je sais pouvoir compter sur votre compréhension.

 Vous remerciant, recevez, Madame le professeur de dessin, l’expression de mes meilleures salutations.

 

G. DALMAZZO

Père du jeune Michel.

 

 

Publicité
Publicité
17 octobre 2015

l'art et la technique

 

hanneton

Qui connait le docteur Charles-Auguste Chevreuse?
Il a pourtant écrit de bien belles choses.


Citons "l'Histoire médicale de la fièvre typhoïde qui a régné épidémiquement à Savigny, Vosges, depuis le 23 octobre 1854".
Oui, bigre!
Ou encore: "Des Principales Causes du mal physique et moral qui mine notre société, et des principaux moyens d'y remédier".
Oui, ça laisse songeur!
Mais ce dont je veux vous parler, c'est sa remarquable "lettre adressée aux instituteurs", en 1854, qui complète ses non moins remarquables "Conseils aux enfants sur leur conduite envers les animaux, services que ceux-ci nous rendent, soins dont nous devons les entourer" (cf nb1). 
Oui, ça met l'eau à la bouche!

Le docteur Chevreuse était un brave homme. 
Il n'avait qu'une devise qu'il rappelle en exergue "Vitam impendere utili" (employer sa vie à se rendre utile).
Oui, c'est beau!

Il faut savoir que le hanneton faisait à cette époque des ravages redoutables.
Le Docteur Chevreuse avait trouvé un moyen d'y remédier: mobiliser la jeunesse.
Comment?

Je le cite :
"Montrer aux enfants, qui aiment tant à peindre, à barbouiller plutôt, qu'on peut tirer du hanneton sans frais une couleur riche, très variée dans ses nuances, propre à l'aquarelle, plus belle et plus solide que la plupart de celles employées aujourd'hui dans cet art."
Je devine que vous voulez en savoir plus.
C'est bien normal.
Voici, résumé, le procédé qu'il propose d'inscrire aux programmes scolaires.

Il faut soigneusement décapiter les hannetons vivants huit à dix heures après leur repas. ils produisent alors quatre ou cinq gouttes d'une matière colorante qui varie avec la nature des feuilles dont on les aura nourris. Attention: "pour éviter la brusque sortie de petits corps graisseux de l'endroit décollé, il convient de n'exercer que des pressions légères sur le corps de l'insecte. Autrement, on ferait sortir aussi des oeufs qui donneraient naissance aux vers blancs, lesquels vivraient au détriment de la matière colorante et la réduiraient en poussière." 
Après avoir cité un professeur de chimie, un professeur de dessin et un architecte, qui tous attestent de ses résultats, il conclue:
"Outre l'avantage de diminuer le nombre de hannetons et de leurs larves, il en résultera pour vos élèves et pour vous-mêmes le moyen simple (... ) de vous procurer sans frais, au sein de nos villages, les plus belles et les plus heureuses distractions".

Belle idée, non?
Malheureusement perdue dans la nuit des temps.
Il est vrai que plusieurs guerres sont passées par là.

Au moment où l'on parle de restrictions budgétaires, de l'importance des activités extra-scolaires, du respect du vivant, de l'agriculture sans insecticides, etc... il me paraissait utile de faire jaillir le pétrole des bonnes idées d'hier.
Voilà qui est fait.
Même si on écarte son apport artistique (malheureusement dévalorisé aujourd'hui), on ne pourra nier que cette suggestion du Docteur Chevreuse apprendra à nos enfants le sens des économies, la patience de l'élevage et la technique de la décapitation, toutes occupations pratiquées aujourd'hui de façon extrement grossière.
Merci Docteur.

 

nb1: Ouvrage du docteur

 

(c) M.DALMAZZO

Et.. ici ou là: chez l'éditeur, ou ailleurs...


 

16 octobre 2015

L'arbre

L'arbre

Il y a longtemps, un contrat a été signé entre l'arbre et la feuille. 
De nombreux avenants ont été négociés depuis, mais le principe n'a jamais été remis en cause: la feuille a besoin de sève et l'arbre de soleil. Sève contre soleil, chacun attend de l'autre au moins autant que ce qu'il lui donne. 
Chez les banquiers, on appelle ça un marché gagnant-gagnant.  

Malheureusement, il se trouve qu'en automne, dans certaines régions, le soleil décline, il fait de plus en plus froid et les besoins de la feuille se font plus grands que ce qu'elle peut payer à l'arbre.  
Ce n'est pas de sa faute, la pauvrette, mais l'arbre est le patron.  Si la feuille n'a rien mis de côté, tant pis pour elle. L'arbre lui coupe les vivres. 

Il faut le comprendre. Qui peut savoir si l'hiver sera rigoureux ou pas? L'arbre est prudent, il prévoit le pire.
Et puis, un contrat est un contrat. De la sève contre rien, on n'a jamais vu ça, sur aucune planète.
Alors, à chacun ses soucis, il coupe le robinet à sève et la feuille meurt de soif.
Tôt ou tard, elle n'a plus la force de s'accrocher. Un coup de vent, un frisson, et elle tombe. 

L'arbre n'en tire aucune gloire, il ne bombe pas le torse, il ne fait pas le fier. De son point de vue, il n'avait pas le choix. 
Il doit résister à l'hiver. Il retient sa respiration, il s'économise, il sait attendre.
Le moment venu, quand un peu de chaleur revient caresser sa carcasse, au printemps, il fait pousser d'autres feuilles.
Les petites nouvelles n'ont pas plus le choix que leurs ainées: elles se laissent naître. Elles savent bien qu'elles vont mourir à l'automne, peut-être même avant. L'arbre n'a pas triché, il leur a expliqué aussitôt la règle du jeu.
Mais elles n'hésitent pas. Vivre un peu, c'est mieux que ne pas vivre du tout.
Un peu de sève c'est bon à prendre.

Pour que ça change, il faudrait que la Terre et le Soleil se mettent d'accord et que l'arbre accepte de modifier le contrat initial.
En attendant, les feuilles n'ont pas les moyens de discuter. Il faudrait que toutes se mettent d'accord et fassent grève pour avoir une petite chance de faire plier l'arbre.

En plus, ce n'est pas facile de défiler dans la forêt quand on est attaché aux branches.
Les feuilles sont battues d'avance. La mort frappe d'abord le rêveur. C'est d'ailleurs le prix du rêve.
Quel rêve? 
L'arbre! Le rêve des feuilles c'est l'arbre.

 

(c) M.DALMAZZO


 

29 septembre 2015

Jouer

Le plaisir ou la beauté du jeu ?


 

JeuxdesOiseaux2

 


 

JeuxdesOiseaux1

 


 

Jeu de cartes tiré à 50 exemplaires...


 

 

19 juillet 2015

126 marches

escalier

Quand l'ascenseur était en panne, il fallait monter 126 marches pour rejoindre notre appartement au neuvième étage. 
Je dis 126 mais je ne m'en souviens pas vraiment. 
Pourtant, je l'ai monté et descendu tant de fois cet escalier que j'ai forcement compté. C'est le genre de choses que j'ai toujours fait, pour jouer, pour patienter, pour me rassurer. 
Mais là, j'ai oublié. 
Alors, pour dire 126, j'ai réfléchi un peu. 

D'abord, le nombre de marches par étage était un nombre pair car l'escalier zigzaguait au rythme de deux segments égaux par étage: un zig tout droit jusqu'à un petit palier puis, après avoir fait demi-tour, un zag identique jusqu'à l'étage supérieur.
Ensuite, les appartements devaient faire 2m40 de plafond. Je n'ai jamais mesuré, mais c'est l'idée que je m'en fais. 
En prenant 20cm par marche (j'ai trouvé ça sur Internet), 2m40 représentent 12 marches par étage. Là-dessus, j'ai ajouté 2 marches pour compter l'épaisseur des dalles qui séparent les étages. Et voilà pourquoi, en comptant 14 marches par étage, j'ai trouvé 126 marches.

126, ça me dit quand même quelque chose mais ce n'est pas vraiment un souvenir.

Par contre, Je me souviens très bien du béton. C'est facile: le béton il y en avait partout. Je le reconnais à l'oreille. Les cages d'escalier résonnent comme des cavernes. Les ombres sont des cris.

Je me souviens aussi que le sol etait couvert de petits carreaux de 5cm de côté, beiges, tachetés de rouge, un rouge sombre comme du sang séché. 5cm environ, peut être 6 ou 7, mais pas plus. À moins que je confonde avec le carrelage d'un autre endroit. Peut-être la classe de physique-chimie au collège, celle qui a brulé, ou celui de la piscine. Je ne sais plus.

Les murs étaient revêtus d'un crépi granuleux, protégé par une peinture beige, épaisse comme une chair. Ça, j'en suis sûr. Parfois, les jours où je me sentais fort, j'y frottais mes doigts en passant, ça me faisait frémir, et je me sentais encore plus fort.

Je me souviens aussi de la rampe, en acier noir et froid, arrondie aux extrémités, portée par une grille épaisse comme une cage.

Je revois aussi la lucarne sur chaque palier et les plafonniers électriques aux lampes éclatées.

Voilà c'est tout.

Je ne sais rien de plus, il faudrait que je fouille dans ma mémoire mais je ne veux pas essayer; maintenant, les escaliers me font peur.

 (c) M.DALMAZZO


 

Publicité
Publicité
7 juillet 2015

Connais-toi toi-même

 

MA011a

Bien sûr, vous connaissez cette citation: "connais-toi toi-même".
Elle est de Socrate, un barbu d'il y a deux-mille-cinq-cents ans que l'on considère comme l'inventeur de la philosophie.
À l'origine, la phrase était gravée sur le seuil du Temple de Delphes (là où la Pythie - la Madame-Soleil de l'époque - avait installé son cabinet de consultation) mais, les droits d'auteur n'étant pas ce qu'ils sont aujourd'hui, Socrate l'a ouvertement plagiée.
Et bien, si vous voulez mon avis, il aurait mieux fait de penser à autre chose!

Car enfin, si se connaitre soi-même est la voie royale qui conduit à la sagesse, on peut en déduire que la connaissance d'autrui est un sentier touristique!
C'est ce que des générations de penseurs (à part quelques utopistes) n'ont pas manqué de répéter. Chacun à sa façon. Je n'en citerai qu'un: Sartre (Jean-Paul). Il a remporté le pompon avec cette ânerie-culte "l'enfer, c'est les autres".
En d'autres termes, c'est en restant chez soi qu'on trouve le paradis!
Comment s'étonner que, de nos jours, tous ceux qui parlent de leur nombril se disent philosophes (et vice-versa)?

Pourtant Socrate n'était pas un imbécile.  Il a dû bien réfléchir pour choisir la devise de sa nouvelle discipline. Certes, il n'avait pas l'embarras du choix (les dictionnaires de citation sont apparus bien plus tard) mais il avait le choix. Par exemple, il ne pouvait ignorer cette belle pensée sumérienne écrite plus de mille ans avant lui: "une jarre d'huile vaut six moutons".
Malgré l'absence de moyens de communications dignes de ce nom, mille ans étaient plus que suffisants pour transmettre de la Mésopotamie à Athènes un texto de cette qualité.
Les nombreuses questions posées (*) auraient donné aux philosophes de tous les temps de quoi moudre un grain autrement plus prometteur que la connaissance de soi.
Un homme de la trempe de Socrate y a forcément songé.
Alors, pourquoi?
Pourquoi?

On est réduit aux hypothèses.
Il faut savoir que la Pythie était une star à l'époque. Y faire référence assurait une grande crédibilité à qui voulait se faire entendre. Un jeune intellectuel (même un vieux) ne pouvait qu'y être sensible.
Autre possibilité. Malgré le faible nombre d'humains qui peuplaient alors la planète, il y avait des étrangers, et donc des xénophobes. Socrate a peut-être été contraint de leur faire quelques concessions. 
Une autre hypothèse évoque la beauté de la devineresse, son charme était connu de tout le monde antique, de sorte qu'une relation secrète avec le barbu n'est pas à écarter...
On se perd en conjectures.

En attendant, personne ne peut nier la légèreté originelle de nos écoles de pensée.

(c) M.DALMAZZO

(*) La beauté de la poterie est-elle nécessaire à la saveur de l'huile?  La jarre est-elle consignée? Quid de la date limite de fraîcheur? Quid de l'âge du mouton? Qu'est-ce que l'essence de l'huile ? Précède-t-elle l'existence du mouton? Qu'est-ce qu'un mouton?... 


 

 

 

25 juin 2015

Quelques centaines d'octets

 

temps

Cet instant qui a commencé avec le premier mot de ce texte, cet instant qui passe sur moi, autour de moi, dans moi, impassible, monotone, indifférent, ou cet instant d'il y a cinq minutes, déjà mort, inerte, ou ces instants d'hier, froids, et tous les autres, oubliés, chacun est unique, tous sont rares, ce sont des fragments de ma vie, ils sont comptés, ils sont tous importants, même s'ils n'ont pas tous la même importance. Un baiser, un rêve, un chagrin, un éblouissement, une peur, un rire, une main, une soie, une fumée, une vague, un cri, une liqueur, un bleu, une fleur... ils sont pleins de ma réalité et, pourtant, tous se vident d'un mot.
Ce que je mets dans celui-ci, là, maintenant, est simple. C'est l'exercice: le tenir, le garder. Je me concentre, je le guette, je l'analyse, je relève tout ce qui s'y passe.
Le plus vite possible, le plus précisément possible.
Je n'ai pas le temps de tout écrire.
Tant pis, je note ce que je peux, mes corrections, mes jambes croisées, le goût de ma salive, la fraîcheur de l'air, ma respiration, le mouvement de mes mains sur le clavier, le mouvement de mes yeux sur l'écran, le clignement de mes paupières, la caresse de ma langue sur mes lèvres, et même cet accent circonflexe oublié que je viens d'ajouter, ce mot, ajouter, que je regarde, ou celui-ci, qui par hasard arrête cette phrase pour la renvoyer à la ligne, et cette virgule, et ce point..
Il y a tant de gouttes dans cette pluie qui me noie. Il y a tant dans un instant. 
Mais ma mémoire s'en fout, elle gâche tout, elle ne simplifie pas, elle ne caricature pas, elle ignore tout! J'ai beau relire, réfléchir, chercher, c
es mots ne servent à rien. Quoi que j'aie pu dire de cet instant, tout ce que j'en retiendrai, une fraction de seconde après, est: j'écrivais.. Même cela, je n'en suis pas sûr! Aucune phrase n'aura ajouté un fragment véritable de cet instant à mon souvenir. A croire que rien ne se sera passé en moi, je me serais arrêté de vivre, d'ailleurs ai-je jamais vécu? Cet instant ne pesera jamais plus que les quelques centaines d'octets du texte, abstraits, fossiles, étrangers, qu'il en reste.

 

(c) M.DALMAZZO

 

Et.. ici ou là: chez l'éditeur, ou ailleurs...


 

16 juin 2015

Naissance

naissance

Il faut avoir une bonne dose d'inconscience pour disserter sur l'âme. A part les militaires et les musiciens (qui parlent d’autre chose), ou les poètes et quelques illuminés (qui ne savent pas de quoi ils parlent), plus personne ne s'y risque. Petit à petit, le mot s’ankylose et se désuétise, et, dans quelques années, une moitié de la littérature romantique sera incompréhensible. L'autre est déjà si triste… 

Ah, sapristi !

Moi qui vous cause, j’ai vécu une expérience qu’il me serait bien impossible d’expliquer sans utiliser très précisément ce mot, exactement ce mot: l'âme. Je n'ai pas trouvé de synonyme. 

Jugez en vous-même.
J’attends de pied ferme les linguistes et autres faiseurs d’histoire. 

Trop de soucis faisant, j’avais décidé de profiter de quelques jours ensoleillés pour me reposer au bord de la mer.
La contemplation d’un grand liquide bleu a un effet sédatif, relaxant et antispasmodique qui n'est plus à démontrer. 

Je flânais sur la plage déserte, une joue caressée par les embruns et l’autre par les rayons du soleil, quand, devant moi, nue, une femme jaillit de l’onde. 
Le mot femme est une rapide approximation.
Nymphe, fée, déesse seraient plus justes, mais ils trahiraient la réalité puisqu'ils désignent des êtres imaginaires.
De toute façon, ce qui sortait de la vague à cet instant dépassait de loin l’idée qu'on peut se faire de ces créatures.
Ceci, par exemple, entre autres points indéfinissables : son regard la précédait comme une traine tissée d'or et de diamants suit une reine. Et je ne dirai rien de son corps aux multiples tentacules carnivores.
Elle était le seul mot possible. 

Elle vint à moi. J’allai à elle. 
La mer s’est arrêtée. Les nuages ont disparu. 
Un courant d’air frais nous a enlacés. J´ai frémi.
Nous nous arrêtâmes à quelques centimètres l’un de l’autre sans avoir prononcé une syllabe.

Comme si cela était inévitable, j’approchai doucement mes lèvres des siennes. 
Comme si cela était inévitable, elle posa ses lèvres sur les miennes. 
Comme si cela était inévitable, nous nous étendîmes sur le sable. 
La mer se remit à danser, doucement, doucement.
Notre étreinte dura, dura.
j'imagine que deux ou trois mille ans s´écoulèrent (aller-retour).

Abrégeons.

Je ne sais pas comment j´ai recouvré mes esprits. 
Je m'étonne encore d'avoir pu lui poser cette question :
- Qui es-tu, déesse de beauté et d’amour ? (je ne résiste pas à la poésie la plus grandiloquente dans mes moments d'extase).
Elle me répondit d’une voix symphonieuse (c'est-à-dire tout autant tout autant symphonique qu’harmonieuse) :
- Je suis, comme toi, une âme en quête d’existence…

Une âme ! Une âme ! Voilà le mot !
Elle n’a pas dit « Je suis une pensée, un esprit, un fantôme… ». D‘ailleurs, je ne l’aurais pas crue. Aucun rêve, aucun mirage, aucune vapeur, aucune hallucination, aucun fantasme, aucun désespoir, aucune fantaisie, aucune illusion n’auraient pu ouvrir ainsi les portes dérobées de ma raison et dévaster l’espace-temps de mon cœur.  Mes sens, mon intelligence m’auraient traité de fou et expulsé de mon corps !

Un silence passa. 
Que dis-je, un silence? Une musique!
Une musique de Mozart, mâtinée de Litz et d’un autre compositeur dont j’ai du mal à me souvenir le nom, prolongeait ces 
mots: en quête d'existence... 
Ils résonnaient en moi, comme l´écho d'un chant de sirène: en quête d'existence... 
En quête d'existence? 
Est-ce à dire qu'elle n'existait pas? Que je n'existais pas non plus? 
C'etait idiot! Nous étions réels, elle et moi! Une réalité de cette sorte ne trompe pas: la douleur du vrai bonheur laisse de vraies cicatrices. Je les ai encore.

Alors, que voulait-elle dire? Que voulait-elle que je comprisse? 
L´utilisation correcte de l´imparfait du subjonctif prouve dans quel état de confusion je me trouvais.

Elle approcha sa bouche.
-  Embrasse-moi encore, ordonna-t-elle.
Comment faire autrement ?

C'est à cet instant précis, quand mes lèvres se posèrent sur ses lèvres, quand ma main se posa sur sa main, quand mes yeux se fermèrent sur un nouveau vertige, que la mer déborda! 
Un seïsme du fond de l'océan fit sursauter le monde! 
Du moins je le suppose. Ce genre d'évenement ne se comprend pas.
Une vague irresistible nous balaya, comme l'eût fait la main d'un géant. Je fus soulevé, retourné, écrasé, noyé, asphyxié. Si je ne craignais les sarcasmes, je dirais bien
je mourus, mais j'ai assez peur du ridicule. Je me limiterai donc à dire que la nuit m'emporta. 

C'est en criant, en crachant la vase qui m'avait obstrué la gorge, que je repris connaissance.
Enfin, mon coeur s'assagit, ma respiration se calma.
Mes yeux s'ouvrirent. Le ciel était gris.
U
ne eau salée me séchait la langue.
Dans ma main, une algue, rouge comme un cordon ombilical, me serrait les doigts.
C’est ainsi que je vins au monde.

 Alors ?

L’âme, vous dis-je, l’âme !
Ceux qui doutent de la justesse du mot méritent ce que je pense !

 

(c) M.DALMAZZO


    

6 juin 2015

Un plan çon

Ne confondez pas planton, plancton et plançon.

 

planton

Le planton est un humain planté à proximité d'un haut personnage, gradé, ministre, président de la république, dirigeant de multi-nationale, parfois même vedette de variété... 
C'est le plus souvent un homme jeune, car le travail est pénible. Il faut rester debout longtemps et faire preuve de patience. S'il n'y avait cela, on prendrait des femmes (et on pourrait dire plantonne), car les femmes sont plus souriantes que les hommes et n'ont aucun problème de prostate. 
Le planton passe le plus gros de son temps à attendre les ordres. Ce peut être un ordre futile, comme aller chercher un café, des cigarettes, un verre propre, ou un ordre important comme transmettre un pli important à quelqu'un d'important (car la poste et les télécommunications ne sont pas sûres). Il peut aussi agir de sa propre initiative. Par exemple, informer son patron de l'arrivée d'un journaliste, d'un terroriste ou, plus fréquemment, d'un pli top-secret apporté par un confrère planton. 
Bref, l'étendue de ses missions et de ses responsabilités est très grande.
Comme synonyme, on utilise factionnaire, garde, sentinelle. A tort, car le planton n'a rien à garder si ce n'est son sang froid quand on lui tire la langue. De plus, il n'est pas nécessairement armé. On ferait mieux de dire secrétaire, coursier ou ordonnance, mais pas larbin car larbin est péjoratif. Le planton, lui, n'a pas à rougir de son boulot de planton.
Voilà pour le planton.

Le plancton c'est tout autre chose. On désigne par là l'ensemble des organismes de petite, voire de très petite taille, animaux et végétaux, qui vivent en suspension dans les liquides plus ou moins salés de la planète: algues, petits crustacés, crevettes, méduses, et toute sorte de friandises que les baleines consomment sans modération (d'où leur grosse taille). L'absence de synonyme oblige l'écrivain qui veut varier son style à abuser des périphrases (ce qui rend les romans aquatiques assez pénibles à lire).

Et enfin, plançon. Le mot est rarement utilisé car personne ne sait que le plançon est une branche qu'on taille en biseau et qu'on met en terre pour qu'elle prenne racine. 
Ce qui n'empêche pas les confusions.

Planton, plancton, plançon, quel que soit le plan, je ne saurais trop recommander la plus grande vigilance orthographique.

(c) M.DALMAZZO

 


 

2 juin 2015

Question de goût

Tous ceux qui me lisent seront intéressés d’apprendre la composition chimique du corps humain (s’ils ne la connaissent déjà). Non seulement parce qu’ils ont un tempérament curieux, sensible et intelligent, mais aussi parce qu’ils sont, dans leur grande majorité, des êtres humains. 
(Je précise, pour ne froisser personne, que je respecte tout autant les êtres non-humains qui font partie de mon lectorat, mais ceux-là sont d’une composition que je ne saurais détailler). 

analyse

Voici donc ce beau résultat : 
- 61.2% d'eau,
- 17% de protéines,
- 13,8% de lipides,
- 1.5% de glucides
- 6,1% de sels minéraux

Je sais bien que le total ne fait pas 100% mais les 0.4% manquants sont un strict minimum pour traduire la part inconnue de l'homme.

Quelques précisions seront peut-être utiles.

Les protéines sont le nom générique qu'on donne à une grande variété de muscles de toute sorte : biceps, abdominaux, fessiers, langue, joues, pénis, et autres morceaux de choix.
Les lipides constituent la grande famille des matières grasses : bourrelets, cellulite, culotte de cheval, bedon, et rondeurs diverses.
Les glucides désignent l’ensemble des produits auxquels les dentistes doivent l’essentiel de leur activité, à savoir les sucres.
Quant aux sels minéraux, ce sont des résidus de fabrication qui datent de la Création. Ils prouvent, s’il en était besoin, que l'Homme sort bien d’un terrain vague.

Ces chiffres donnent la composition du potage que l’on obtiendra si l’on met dans un broyeur géant un corps humain complet, c'est-à-dire sans en écarter de partie, serait-elle moins noble que les autres.
Bien entendu, la présence normale de tous les organes dans leur état d’origine (nombre de dents, de bras, de jambes, d’yeux…) aura été préalablement vérifiée; les habits, lunettes, bijoux, et téléphones portables retirés; l’estomac, les intestins et la vessie soigneusement vidés; les cheveux coupés; le corps lavé, etc. Dans un souci de rigueur, il faudra rejeter les échantillons suspects, comme ceux présentant une bile chargée ou une haleine fétide. La moindre trace d’alcoolémie ou de nicotine devra être tout autant éliminatoire.
Bref, la méthodologie doit être irréprochable.

Evidemment, le résultat peut varier d'un individu à l'autre, en fonction de son âge, sa taille, son poids, ses habitudes alimentaires, sa pratique du sport, sa voiture et ses horaires de travail (s’il en a un).
Il s’agit de moyenne.
Disons, pour fixer les idées, que cette analyse correspond à celle d’un individu de corpulence moyenne, sain et vigoureux, de la région Parisienne qui passe un tiers de son temps à dormir et le reste à rêver.
Voilà pour les explications.

Inévitablement, quand on découvre ces chiffres, on est curieux de savoir le goût du potage.

On pourra s’en faire une idée en mélangeant dans un batteur-mixeur de qualité 100 grammes de Camembert  (AOC à 20 % de matières grasses), 38 centilitres d’eau distillée, 4 grammes de romsteak bien rouge, une pincée de sucre blanc (2 grammes), une noix de beurre (2 grammes), et une petite cuillère de la boue industrielle d’un dépotoir standard (10 grammes).

Evidemment, tout cela sera plus intéressant quand on connaîtra la composition chimique d’un homme heureux. 

(c) M.DALMAZZO

 


 

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 > >>
Publicité