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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
18 novembre 2013

Le quartz

 

perlimpinpinologie_24Beaucoup de gens sont déçus par l’explosion qui a donné naissance à l’Univers tant, selon eux, le monde qui en est résulté serait insensible à nos petites personnes. 
Au premier abord, les chiffres pourraient leur donner raison: 99,9% de toute la matière qui a été fabriquée - quatre-vingt-dix-neuf virgule neuf pour cent ! - passe dans l’éclairage, le chauffage et la décoration du monde!
Ce qui représente beaucoup d’effort pour un bien maigre résultat, si on s’en tient au noir de la nuit! 

Mais il y a le reste, le petit morceau de pour-cent qui reste. Et là, il faudrait être difficile pour ne pas apprécier le résultat!

Un exemple suffira : le quartz.

On ne peut pas faire plus commun. Certaines plages de sable fin ne contiennent que ça ! Eh bien, ce matériau  banal peut, à lui seul, en dire long sur la sensibilité des choses!
Voici : les cristaux de quartz ont la propriété de se charger d’électricité lorsqu'ils sont comprimés et, inversement, de se déformer lorsqu'ils sont soumis à une tension électrique !  
Rien de plus, rien de moins ! 
Ca s'appelle l'effet piézoélectrique.
Quand on m'a expliqué ce prodige à l'Université, j'ai mieux compris ce que j'avais ressenti quelques années plus tôt.

--

 

J’avais seize ans.
Je connaissais le baiser, le baiser de Klimt, le baiser de Rodin, le baiser de Marylin Monroe à Clark Gable, je savais ce qu’en avaient dit Verlaine, Baudelaire, et mes bons copains, j’avais pratiqué quelques fois. C’était tout, c’était beaucoup et c'était rien. A cette époque la télé et le cinéma étaient plutôt chastes, mais je pense que le contraire n’aurait pas changé grand-chose.

Il faisait nuit. Elle s’appelait…
Nous nous étions cachés dans une ombre de la plage, assis sur le sable, côte à côte, genoux contre genoux.
Quand nos mains se sont effleurées, j’ai senti comme une petite décharge qui est passée entre nous.
Je doute qu’on puisse parler d’électricité statique. Les petites étincelles de cette sorte surviennent dans les endroits secs, les corps sont rarement concernés, mais c’est possible, nous avions, elle et moi, une soif particulière. Je pense plutôt qu’il s’agissait d’une secousse interne, une vibration, une tension subitement libérée, une détente qui perturbe le cœur. En tout cas, la surprise m’a fait sursauter d’un ou deux centimètres, suffisamment pour sentir son souffle passer sur ma joue comme un trait de crème vanillée.

J’ai vu un rayon de  lune allumer son regard. 

Je me suis approché, elle m'a devancé.
Et nous avons doucement posé nos lèvres les unes sur les autres.
Rien de sauvage, rien de fou. Un simple contact deux fois deux à deux.
Rien à signaler. Pas de goût enivrant, pas de trouble. Rien d’extraordinaire.
Je ne me suis pas dit que je m’y prenais mal. Ce n’était pas la première fois. Les gestes sont simples et que peut-on faire d’autre ?
J’ai bougé la langue, un peu, je crois, j’ai senti mes dents s’écarter sans l’avoir vraiment cherché, je ne crois pas avoir été plus loin, elle a avancé sa langue, nous nous sommes touchés de l’intérieur. Un simple glissement de salive.
Sage. Une bave plutôt qu’une lave.
Il n’y avait là rien à redire, rien à inventer. L’inclinaison des têtes peut-être, les épaules qui s'approchent, les mains qui bougent sans savoir. C'est tout.

Le baiser a duré deux ou trois minutes. Bien sûr, je n'ai pas mesuré, mais je me souviens avoir trouvé ça long.

C'est toujours long quand on n'ose pas imaginer ce qu'on voudrait faire.

Quand nous nous sommes écartés l’un de l’autre, j’ai cherché quelque chose de malin à dire.
Elle m’a regardé en souriant.
Pour la première fois, j’ai remarqué la mer qui faisait comme un drap froissé et quelques étoiles qui piquaient le ciel.

Machinalement, elle a pris ma main, l’a glissée sous son pull et l’a posée sur son sein gauche.
Elle enserrait mes doigts entre ses doigts et déplaçait ma main avec la sienne.
J’ai senti un tissu souple, un relief de fils et de dentelles, un arc d’acier gainé, une broderie ajourée, une perle, une autre perle, un ruban, un nœud de satin.
Elle me demanda :
- Tu sens mon cœur?
Je sentais surtout le mien.
Je ne sais plus ce que j’ai répondu. Je ne suis pas sûr d’avoir répondu quelque chose. Je ne suis pas sûr qu’elle attendait une réponse.
Elle caressait ma main.
Je sentais la pression de ses doigts sur mes doigts, de mes doigts sur son sein, la maille ronde, la corbeille gonflée et souple. D’un mouvement appuyé et lent, elle poussa ma main sur sa peau, l’humidité, la fraicheur, la chaleur. Du bout des doigts, j'ai senti la douceur, la moiteur.
Elle quitta ma main un moment pour passer la sienne dans son dos. D’un coup, le tissu a lâché et mon cœur s’est arrêté.
Ma main s’est alors emplie d’une chair fraîche comme une soie, chaude comme le pli d’un fruit.
Ce contact a marqué ma main. 
Plus de quarante ans après, la marque y est toujours... En la posant sur mes lèvres, je ressens encore ce baiser, 
le premier vrai baiser de ma vie, un goût de peur, de honte et de plaisir

Le quartz ? 
Ah, oui! le quartz...

Un peu plus tard, quand nous nous étions étendus sur le sable, le monde a tremblé.

© M.DALMAZZO

 

 

 

 

 

 


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Commentaires
A
way to go.!!!!!<br /> <br /> thank you for the thrill....
M
Merci Nicole pour tes gentilles paroles. <br /> <br /> Mon prof à l'université, dont j'ai parlé ci-dessus, aurait dû expliquer les choses aussi bien que tu le fais.. Il aurait gagné en popularité..
N
Variation sur l'effet piézoélectrique ou comment un phénomène mineur, un infime pourcentage de vie sur la longueur de la nôtre, se transforme, de bouleversement en propagation, de souvenir infiniment répété en rêverie ancienne, en phénomène majeur qui illumine nos nuits.<br /> <br /> Merci, Michel, pour ce pur instant de sensation.
S
Blog très intéressant. J´y reviendrait plus souvent.Merci pour nous permettre de le lire et votre sympathie!
Z
Il y a quelques années j'avais lu une série de nouvelles publiées dans la presse et contant des premiers baisers. Déceptions. Belle consolation par ce beau texte, sensible, émouvant et poétique. Une frustration tout de même, pingre et toujours à la recherche d'économies, le quartz semble-t-il ne me permettra pas de me chauffer cet hiver.
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