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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
28 avril 2014

La plage

hist003a

Je trimbale depuis toujours deux souvenirs: une odeur d'éther et une plage déserte. Je ne sais pas lequel est le plus ancien. Il n'y a pas de commentaire, il n'y a pas de date, je ne sais pas comparer. Chacun dans son domaine, celui des odeurs et celui des images, ils ont une force, une résistance, un je ne sais quoi d'analogue. Pourtant ils n'ont aucun rapport, si ce n'est qu'ils parlent de moi, ou plutôt qu’ils ne parlent qu’à moi, ils sont là ensemble, avant tous les autres, sans que j’en sache beaucoup plus qu’eux. Tout simplement, je sens que je les ai toujours connus, toujours répétés, je sens qu’ils m’ont toujours accompagné, je sens qu’ils transportent la même quantité de moi-même. Evidemment, ce n'est qu'une sensation, un sentiment que tout ce que ce que j'ai fait, d'une façon ou d'une autre, je l'ai fait avec eux, à cause d’eux, je les avais déjà dans la tête, dans le ventre, ou ailleurs, car ces souvenirs-là, je ne sais pas où ils se rangent. En tout cas, il n’y a pas que la cervelle. Cette sorte de souvenir, c’est comme l’air dans une maison, ça entre dans toutes pièces. Tôt ou tard. Parfois, en pire. Par exemple, cette odeur d'éther. Elle a imbibé mes narines, elle s'est attaquée aux cellules, elle y a enfoui ses molécules. La preuve? Je la sens immédiatement si je fais attention, comme maintenant, parce que j'en parle. La plupart du temps, je ne m'en rends pas compte, pas plus que la pesanteur, pas plus que mes articulations, ma salive, le sifflement dans mes oreilles ou le mouvement de ma pensée. Il suffit qu'on soit un peu attentif à soi pour qu'on se rende compte de tout, du dedans comme du dehors, du présent et du passé, tout sort en relief. Pareil pour cette plage déserte, elle est toujours là pour moi. Pour vous, elle est cachée. Si vous étiez derrière mes yeux, vous ne verriez rien, vous ne sauriez pas quoi chercher, ou, peut-être, si vous insistez, vous trouveriez les ciels trop gris, les pastels tâchés, vous remarqueriez des éraflures sur les images, des bavures sur les traits et vous me conseilleriez de changer de lunettes, ou de penser à autre chose. Pourtant dans tout ce que je vois, dans tout ce que j'imagine, la plage déserte est là, comme le ferait une image qui a marqué à jamais l'écran d'un vieux téléviseur.
C'est bien plus tard, évidemment, que j'ai appris le mot éther, avec celui d'hôpital, celui de migraine, celui de nausée, et toute la clique qui va avec. Je les ai compris plus vite que les autres, je les ai reconnus, je n’avais pas besoin de les apprendre, ils sont venus après ce qu'ils voulaient dire : les vertiges, les migraines, les cauchemars...
Par contre, de façon inexplicable, j'ai toujours su que cette solitude, cette ligne noire, cet horizon agité par la mer, ce sable mouillé, ce gris sale et froid qui tient aux pieds, ça s'appelle une plage. Une plage ! Allez savoir pourquoi j'ai toujours su ce mot. Comme si j'étais venu de là, tout bêtement, et que je l'avais prononcé en naissant.

© M.DALMAZZO

Un peu de moi (en plus drôle!), ici ou là: chez l'éditeur, à la FNAC, chez AMAZON ou ailleurs...


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Commentaires
M
Annie, tu as tout compris! <br /> <br /> Merci pour ta lecture et tes gentilles paroles..
A
La plage, ce n'est pas le nom qu'on donne au bord de la mère ?<br /> <br /> Beau texte!
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