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Perlimpinpinologie, humour et philosophie
7 mai 2009

Des pannes

IPerlimpinpinologie_13l y a trois pannes que tout homme redoute quand il s’agit de femme: la panne de stylo, s’il doit noter ses coordonnées, la panne d’essence, s’il lui a donné rendez-vous, et la panne de courant, si elle habite au dernier étage.
A dire vrai, il en existe une autre, la panne d’érection, mais personne n’aime en parler.
Peu importe, trois ou quatre, il est rare que toutes se produisent dans la même circonstance.
Quoique...

Je me souviens du Symposium International de  Philosophie Moléculaire de Mai 2000. Voyage et séjour à Rio, tous frais payés dans un des plus beaux hôtels de Copacabana, contre un petit discours qu'on me demandait de prononcer: je n’ai pas résisté à ces petites vacances exotiques déguisées en rencontres scientifiques.
Passons sur les images, les lumières, les couleurs... Formidables.

...

Les travaux du matin étaient terminés. Nous en étions au cocktail, servi sur le toit de l’hôtel, au dessus de la salle de conférences. 
Le soleil harassait la ville. Je m’étais réfugié au bar, sous un parasol, attendant qu'on remplît mon verre, quand une main se posa sur mon bras. Une voix caressait mon oreille:
- Professeur, Professeur, ... Remarquable, votre intervention était.
J’ai reconnu l'accent russe et, comme je sais dire Merci en cyrillique, je trouvai malin de me retourner en le montrant:
- Bolshoe spasibo.
J’ai cru un moment que le soleil avait enflammé le parasol. Comment dire ? Une fée! Je n’ai pas vu les ailes, mais, à coup sûr, elle devait planer au dessus du sol pour amener si habilement son regard au-dedans du mien.
Elle parlait. Mon air stupide l’arrêta. Elle a cru que je ne comprenais pas. En fait, je ne comprenais pas.
- Je croyais que vous parler po russki !
Je parvins à me ressaisir.
- Non, non, quelques mots, pas plus !
Elle reprit, le temps nécessaire pour me permettre de retrouver mon sang-froid. Natacha, elle s’appelait Natacha, était journaliste. Elle représentait un groupe de presse de Moscou pour lequel elle couvrait le symposium. Elle connaissait mes travaux, avait écrit plusieurs articles à mon sujet, …
J’étais porté par ses paroles. Je ne sais plus les miennes. Je me souviens qu’une fois ou deux elle m’a appelé Micha, j’ai rougi, j’ai dit Nathalie, elle a ri.
Le temps passa.

...

Natacha regarda sa montre :
- Mon dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je suis très tard !
Elle comprit à mon regard de chien abandonné ce que je n'arrivai pas à dire
- Niet, niet, dit-elle, je pas pouvoir. Travail ! Travail !
Elle m’expliqua qu’elle avait plusieurs rendez-vous importants, il était question d’interview, de reportage, d’échanges culturels,  de personnages officiels... Une somme de choses impossibles à éviter.

Déjà, elle marchait. Déjà, nous étions dans l’ascenseur.
J’ai trouvé la force de lui demander:
- Nous pouvons peut-être dîner ensemble ce soir ?
Elle hésita d’un petit sourire, puis rougissant un peu :
- Da ! Micha ! Venez chez moi. Bon restaurant à côté. 9h00, pas avant. Trop travail !
- D’accord ! Mais où ?
- Appartement prêté par correspondant local.
- Je prendrai un taxi, dites-moi où!
Elle prit le carnet et le stylo que je lui tendais. Elle parlait en écrivant :
- Avenida... Cachoeiras de Macacu.. numéro 6..80...0..9..Pas marcher !
- Quoi, pas marcher ?
- Stylo, pas marcher !
J’essayai à mon tour. Une encre pâlichonne bavait de temps en temps.
Elle continua :
- Code 8908, septième étage, en face de l’ascenseur.
Mon stylo creusait le papier. L’ascenseur s’arrêta, la porte s’ouvrit,
- Moi très retard !
- Ca ne fait rien, je m’en souviendrai, 8908, septième étage, en face de l’ascenseur.
Ma fée s’était envolée. J’avais tout gravé dans mon carnet et, mieux encore, dans mon coeur.

...

J’ai rarement vécu après-midi aussi long.

bl007

Le taxi que j'avais commandé pour huit heures était à peine arrêté que je tendais déjà mon carnet au chauffeur. Il hocha la tête et démarra comme une fusée. Pendant dix minutes, il fut probablement le véhicule le plus rapide de Rio.
Jusqu’à un embouteillage effrayant.
Interminable.
Le sang dans mes tempes comptait les secondes en même temps que la pendule digitale du tableau de bord.... Elle
marquait 20:30:00 au moment précis où le moteur s’arrêta.
Le chauffeur éclata. Je ne sais rien au portugais. Dans un galimatias invraisemblable, j’avais quand même compris  insuficiencia de gas sans difficulté. 
Je passe sur les concerts de klaxons, les imprécations du chauffeur, le sentiment de solitude qui m’envahit, ... pour en venir au ouf de soulagement que j’ai poussé en m’engouffrant dans un autre taxi, quelques minutes plus tard, non sans avoir vérifié sa jauge d’essence.
L’icône russe suspendue au rétroviseur nous porta chance: le taxi s’arrêta à neuf heures tapantes au pied de l’immeuble de Natacha!
J'avais repris confiance. Le ciment sale et gris des immeubles me semblait embelli par l’air de fête de la ville.
Erreur d’appréciation: les bougies et les torches qui vibraient ici ou là n’avaient pour seule raison que le panne de courant qui frappait le quartier!
A aucun moment je n’ai pensé à la malédiction qui, de panne en panne, semblait me poursuivre. Je n’avais que Natacha en tête et j’avais rajeuni de vingt ans.

...

Je n’ai pas eu besoin du code d’accès à l’immeuble: une grosse dame tenait la porte. Elle me montra  l’escalier en me gratifiant d'un sourire colorié de vert par les petites loupiottes de sécurité qui éclairaient le hall.
Sept étages à pied, c’est long, mais en arrivant je ne savais toujours pas quels seraient mes premiers mots pour Natacha .
Devant la porte, mon coeur s’emballa.
Une petite veilleuse au plafond me permit de voir la sonnette.
J’inspirai. J’expirai. J’essuyai la sueur qui perlait à mon front.
Un moment.
Encore un.
J’étais prêt, je soufflai une dernière fois et pressai le bouton.
Rien.
Etais-je bête! Il n’y avait pas de courant!
Je repris mon élan.
Une fois. Deux fois. Et je toquai à la porte. 
Un bruit, la porte s’ouvrit, j’étais sûr que ma fée allait faire la lumière
- Heu..
Je n’ai pas été plus loin, elle avait déjà posé ses lèvres sur les miennes, m’avait entouré de ses bras et enivré de son parfum.  J’ai pensé à la passion slave. Non, je crois que je n’ai pas pensé. Je ne pouvais plus penser.
Elle m’a pris la main et, sans un mot, m'a guidé dans l’appartement.
Une lueur passait par la fenêtre.
Elle s’arrêta.
J’ai vu dans ses prunelles exploser deux petites flammèches rouges et nous nous écroulâmes sur un lit.

...

Panne? La quatrième ?
Pas du tout! Au contraire.
Ce fut un moment extraordinaire, fait de mille et une étreintes. Il n’en est pas une dont je me croyais capable. Aucun mot, des râles, des gémissements, des cris.
Simplement le plaisir, violent, doux, long, lent, fort.

...

D'un coup, la lumière revint.
Je levai la tête en écarquillant les yeux.
- Quem é você? Cria-t-elle!
J’ai failli m’évanouir! Ce n’était pas Natacha!
Instinctivement, elle avait remonté ses genoux sur elle et serrait sur sa poitrine un coin de drap  ridicule. Elle tremblait de frayeur.
Et moi?
De peur, j’étais tombé du lit ! Je me tenais accroupi et me cachais, tant bien que mal, derrière un oreiller.

Qu’est-ce que la pudeur?
Qu’est-ce que la nudité des corps en comparaison de celle du coeur?
Cette femme et moi avions échangé des baisers, des étreintes, des caresses, incroyables, inoubliables, nous avions tout appris l’un de l’autre, partagé nos odeurs, nos sueurs, nos chaleurs, nous avions tout osé, tout rêvé, nos sens nous connaissaient mieux que nous mêmes... Pourtant, à cet instant, nous découvrant nus l’un à l’autre, nous étions devenus étrangers, effrayés, terrorisés, par l’autre autant que par nous mêmes, puérils, honteux, misérables dans notre chair et notre esprit!

Je bégayais en attrapant mes vêtements:
- Je ne comprends pas, i don’t understand!
- Quem é você?  Who are you? répétait-elle en hoquetant.
Je m’habillais aussi vite que possible, pendant qu’elle baragouinait je-ne-sais-quoi et que je bafouillais en anglais.
Elle comprit le mot Natacha:
- Natacha? ... Natacha! O apartamento próximo!
L’appartement d’à côté!

Petit à petit, nous avons retrouvé notre calme.
En nous quittant - bons amis - nous avons échangé un baiser sur les joues et un autre sur une moitié de lèvres.

...

J’ai compris ma méprise sur le palier. Toutes les portes, sauf celle de l’escalier, étaient en face de l’ascenseur et j’avais cru logique de choisir celle du centre!
J'ai sursauté en entendant l’ascenseur.
Natacha!
-  Dieu! Vous avez attendu moi! Vous si gentil! Coupure courant terrible! Vous si gentil!
- Heu...
Sa bouche m’empêcha d’en dire plus...

C’est là, un peu plus tard qu’a eu lieu la quatrième panne dont j’ai parlé. Natacha fut touchée, tout simplement, et me fit promettre de revenir le lendemain.
Une fée!

...

Le lendemain, aucun embouteillage n’a ralenti le taxi.
Il s’arrêta même une demi-heure en avance, mais... devant un épicier! 
J’avais pourtant utilisé le même carnet, l’adresse était la bonne, mais, visiblement, ce n’était pas celle qu’avait su lire mon taxi de la veille!
J’ai analysé soigneusement l’écriture de Natacha, j’ai remplacé un 0 par un 9, un 8 par un 0, nous avons repris lentement l’avenue, plusieurs fois. Pour rien. Les bâtiments étaient gris et sales. La fête était finie.
Je n’ai jamais revu Natacha.
Le jour se levait quand je me suis écroulé dans mon lit.

Depuis ce jour, j’ai toujours deux stylos sur moi.

© M.DALMAZZO


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Commentaires
V
Merci, mes rides se creusent, et ce n'est que bonheur.<br /> La lecture n'est pas ardue, bien trop prenante et pressante.<br /> Je prends l'ensemble avec un tel plaisir, rire, peu fréquent dans la lecture habituelle.<br /> "Si vous vous apprêtez à donner un baiser, arrangez-vous pour qu'il en vaille la peine". Ce fût le cas dans l'embrasement de l'embrasure d'une porte, il était donc bon de ne plus penser...<br /> Si l'aventure était réalité, je garderai le stylo Mémorial du "Quem é vocé ?"
M
@Monique: ce proverbe est d'une justesse d'horloger!!<br /> <br /> @Anne (O'Nyme): je suis subjugué par ta gentillesse!!<br /> <br /> Merci à toutes les deux!
A
Oserai-je dire que c'est touchant ?<br /> <br /> Les corrections de Danalyia :comment peut-on corriger, apporter des modifications voire des points de suspension (!) quand on a lu autant de poésie, de vie transformée en rêve, de mots pour le dire qui disent ce que d'autres ne savent que braire ?<br /> <br /> Je suis subjuguée par la finesse du style ... tout en sublimation ... quoique ! Les pannes ne sont donc pas ce que l'on croit ----->> elles sont le guide du bonheur parfois ... parfois !
M
" Le plus beau lendemain ne rend pas la veille."
M
Merci Aurora (votre blog, http://auroraweblog.karmaos.com ,m'a souflé).<br /> Merci Anne Laure.
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